Sonologie et soins-palliatifs

Sonologie et soins palliatifs
Une expérience de vie

Par Emmanuel COMTE, Sonologue

Centre Universitaire de Santé de l’Estrie CHUS – Hôtel-Dieu, Sherbrooke (Qc) Canada
Hôtel-Dieu de St-Hyacinthe (Qc) Canada

Soins palliatifs – Octobre 1995 à mai 1997
Flûte Ewi et cithare

Entre 1995 et 1997, nous sommes allés donner des séances de sonologie dans les hôpitaux du CHUS (Sherbrooke, Québec, Canada) et de l’Hôtel-Dieu (St-Hyacinthe, Québec, Canada).

Après huit mois d’interventions hebdomadaires, à raison de deux heures par semaine, où nous sommes venus jouer directement dans les chambres des malades en phase terminale, plusieurs observations peuvent être faites.

Nos observations

1. Au niveau du personnel

Alors que nos interventions étaient destinées aux patients de l’hôpital, nous avons constaté dès les premières séances que le personnel infirmier en bénéficiait aussi. Les infirmières demandaient toujours de laisser ouverte la porte de la chambre, afin de pouvoir bénéficier elles aussi des sons, tout en travaillant.

Notre visite était parfois vécue de leur part avec un « ouf » de soulagement, car elles sont la plupart du temps surchargées de travail et souvent aux prises avec des cas difficiles.

À plusieurs reprises, elles sont venues s’asseoir dans la chambre du malade, pour profiter de ce moment de répit, de calme et de relaxation.Après ce constat, il a été décidé, en lien avec la direction des soins infirmiers, des bénévoles et du service de pastorale d’organiser :

¤ a) Des conférences « Mardis cliniques » : Trois conférences ayant pour thème : « L’influence de la musique sur la santé » ont été données sur les sites du CHUS (Hôtel-Dieu, St-Vincent de Paul et Fleurimont). Le contenu de cette conférence a été publié par l’Université de Sherbrooke (1).

¤ b) Des auditions mensuelles intitulées « Musique à l’hôpital » dans les chapelles des trois hôpitaux, avec une heure de musique (flûtes et cithare), de juin à novembre 1996. Puis des après-midi musicales « portes ouvertes » ont eu lieu sur le site de Fleurimont (décembre 1996 – mai 1997).

Une de ces interventions a été filmée par Radio Canada et a été diffusée au Téléjournal « Estrie ce soir » le 27 février 1997.

2. Au niveau des patients

Nous avons joué dans les chambres de 125 personnes soignées en phase terminale de cancer ou en soins prolongés.

À plusieurs reprises, les mêmes personnes ont pu être visitées d’une semaine sur l’autre, mais dans la plupart des cas, les personnes étaient différentes à chaque fois (souvent les gens mouraient entre-temps).

Emmanuel Comte, musique à l’hôpital
Drummondville, Québec 1997

La musique que nous avons jouée était composée directement et spécialement pour chaque patient. Les instruments utilisés étaient la flûte Ewi (flûte électronique MIDI), la flûte à bec et la cithare (121 cordes). Jouer de la musique à l’hôpital est déjà peu usuel…

En plus, les instruments peu connus que nous utilisions ajoutaient aux bienfaits de la musique, car souvent les patients étaient d’emblée intrigués qu’on s’occupe d’eux de cette manière et adhéraient ainsi plus facilement à la démarche...

Le style de musique était toujours doux et paisible et nous ne jouions pas d’autres musiques que celles que nous composions.

Cette musique a été qualifiée de thérapeutiques et ressemble dans son style aux compositions que nous avons produites. La méthode de soins que nous utilisons s’appelle Toucher par les Sons ou Sonologie. Elle est un moyen nouveau pour accompagner les patients, en complément de la médication palliative et particulièrement efficace là où d’autres méthodes complémentaires ont échoué.

Nous expliquons en détail l’origine de la Musique thérapeutique et son intérêt en soins palliatifs. Lorsque nous entrons dans une nouvelle chambre, nous proposons une séance. Si la personne accepte, nous nous installons soit au pied du lit, ou, si l’espace le permet, à côté, afin d’être encore plus proche d’elle. Nous parlons très peu, seulement si la personne nous pose des questions.

Nous laissons parler les instruments et leur résonance envahir la chambre. Dans le cas où le patient est inconscient, ce sont les proches ou l’infirmière qui nous demandent d'intervenir. Une patiente souffrant de nausées et réticente au prime abord à une courte audition, s’est finalement laissée convaincre. Elle s’est retrouvée dans un tel état de détente après vingt minutes de cithare, qu’elle a réclamé de nouvelles séances et a souhaité que le plus grand nombre de personnes puisse bénéficier de cette musique qu’elle a qualifiée elle-même de « céleste ». Un sidéen en phase terminale a déclaré au bout d’une heure de séance (flûte et cithare), qu’il se sentait aussi détendu que s’il avait « dormi pendant dix-huit heures ».

Dans ce dernier cas, nous avions été appelé par l’infirmière, pour venir jouer spécialement en soirée. En général, lors des séances, nous ne parlons que très peu, nous laissons parler les instruments pour laisser de la place aux sons et permettre à la personne de se laisser envahir par la paix, de se mettre dans un état de contemplation.

Il nous est aussi arrivé de permettre à la personne de mourir paisiblement immédiatement après la séance : pendant que nous jouions, le patient montrait des signes terminaux (râles sonores et saccadés…). Il est décédé dans la minute qui a suivi la fin de la séance. Les proches qui étaient présents ont été très étonnés de cette musique si inhabituelle. Nous leur avons exprimé notre compassion.

Même si les patients ne meurent pas tous immédiatement après une séance (!), certains disent que la musique a continué de vibrer en eux les jours suivants et témoignent de l’aide qu’elle leur apporte (soulagement, soutien, répit, facilite le sommeil, les transporte dans « quelque chose de beau », état contemplatif, religiosité, etc.).

Souvent ils n’ont pas la possibilité de suivre plusieurs séances, car ils meurent entre temps. Une patiente ne voulait pas écouter ma musique sous format cassette, proposée par l’infirmière entre deux de nos passages à l’hôpital.

 

Après nous avoir entendu alors que nous jouions dans une chambre contiguë à la sienne, elle a voulu alors suivre une séance. Elle a par la suite réclamé la musique intitulée « Musique du Ciel » qu’elle avait refusée auparavant.

Elle l’a écoutée quasiment en continu jusqu’à son décès.

Il est arrivé aussi que des patients grabataires qui étaient mourants depuis des semaines se libèrent soudainement, après avoir suivi seulement une séance et meurent dans les jours suivants de façon paisible, au grand étonnement des infirmières.

C’est comme si la musique les aidaient à accepter la mort, les rassurait et créait en eux un état d’abandon.

Elle devient alors une sorte de barque qui les emmèneraient sur une rivière, au gré du courant, vers une contrée lointaine qu’on appelle la mort.

D’autres patients témoignent en disant avoir vécu ce moment musical comme s’ils « étaient au ciel » ou avoir été en contact avec l’ « amour infini » ou encore, comme « une prière ».

Le Dr St-Pierre qui a supervisé les séances données à St-Hyacinthe a constaté une réponse remarquable chez les patients agités. L’association de la « Musique Anti-Souffrance » avec la médication palliative sédative et anti-douleur était selon lui « très bénéfique ». Il nous a même dit : « Pilules plus musique, c’est le bon cocktail! »…

Il nous a dit aussi vouloir utiliser ma musique pour un de ses proches atteint de cancer et gravement malade.

Les médecins que nous rencontrons dans les hôpitaux approuvent notre démarche, car ils reconnaissent ne rien pouvoir prescrire contre la souffrance (qui est différente de la douleur).

L’un d’eux nous a confié un jour après nous avoir entendu jouer auprès d’un patient : « C’est l’endroit le plus calme de tout l’hôpital, ici… ! »

Conclusion

Le Toucher par les Sons® et la Sonologie sont des nouvelles approches complémentaires de soins.

L’expérience clinique a montré que les séances que nous avons faites auprès des patients soignés en phase terminale étaient très bénéfiques, en particulier chez les personnes vivant de la détresse morale ou ayant du mal à accepter la mort, ce qui est très répandu.

La fréquentation régulière des hôpitaux nous a montré aussi que les personnes les plus souffrantes ne sont parfois pas celles que l’on croit…

Beaucoup de souffrance et de détresse peuvent être vécues par les infirmières souvent épuisées. Les intervenants apprécient donc eux aussi cette nouvelle approche d’une part car ils en bénéficient eux-mêmes et d’autre part car ils voient dans cette musique quelque chose qui soigne enfin la souffrance morale, ce qu'aucun autre médicament connu n'arrive à faire…

(1) Cahiers des mardis-cliniques en soins infirmiers du CUSE, vol.7, 1995-96, pp.67-76.